Vous pensez si l'affaire défrayait la presse du monde entier. Jamais illustre crime n'avait intrigué davantage les esprits. Il me semblait bien cependant que l'instruction n'avançait guère ; aussi eussé-je été très heureux de l'invitation que me faisait mon ami de le venir rejoindre au Glandier, si la dépêche n'avait contenu ces mots : « Apportez revolvers. »
Voilà qui m'intriguait fort. Si Rouletabille me télégraphiait d'apporter des revolvers, c'est qu'il prévoyait qu'on aurait l'occasion de s'en servir. Or, je l'avoue sans honte : je ne suis point un héros. Mais quoi ! il s'agissait, ce jour-là, d'un ami sûrement dans l'embarras qui m'appelait, sans doute, à son aide ; je n'hésitai guère ; et, après avoir constaté que le seul revolver que je possédais était bien armé, je me dirigeai vers la gare d'Orléans. En route, je pensai qu'un revolver ne faisait qu'une arme et que la dépêche de Rouletabille réclamait revolvers au pluriel ; j'entrai chez un armurier et achetai une petite arme excellente, que je me faisais une joie d'offrir à mon ami.
J'espérais trouver Rouletabille à la gare d'Épinay, mais il n'y était point. Cependant un cabriolet m'attendait et je fus bientôt au Glandier. Personne à la grille. Ce n'est que sur le seuil même du château que j'aperçus le jeune homme. Il me saluait d'un geste amical et me recevait aussitôt dans ses bras en me demandant, avec effusion, des nouvelles de ma santé.
Quand nous fûmes dans le petit vieux salon dont j'ai parlé, Rouletabille me fit asseoir et me dit tout de suite :
Ça va mal !
Qu'est-ce qui va mal ?
Tout ! »
Il se rapprocha de moi, et me confia à l'oreille :
« Frédéric Larsan marche à fond contre M. Robert Darzac. »
Ceci n'était point pour m'étonner, depuis que j'avais vu le fiancé de Mlle Stangerson pâlir devant la trace de ses pas.
Cependant, j'observai tout de suite :
« Eh bien ! Et la canne ?
La canne ! Elle est toujours entre les mains de Frédéric Larsan qui ne la quitte pas
Mais ne fournit-elle pas un alibi à M. Robert Darzac ?
Pas le moins du monde. M. Darzac, interrogé par moi en douceur, nie avoir acheté ce soir-là, ni aucun autre soir, une canne chez Cassette Quoi qu'il en soit, fit Rouletabille, « je ne jurerais de rien », car M. Darzac a de si étranges silences qu'on ne sait exactement ce qu'il faut penser de ce qu'il dit !
Dans l'esprit de Frédéric Larsan, cette canne doit être une bien précieuse canne, une canne à conviction Mais de quelle façon ? Car, toujours à cause de l'heure de l'achat, elle ne pouvait se trouver entre les mains de l'assassin
L'heure ne gênera pas Larsan Il n'est pas forcé d'adopter mon système qui commence par introduire l'assassin dans la «Chambre Jaune», entre cinq et six ; qu'est-ce qui l'empêche, lui, de l'y faire pénétrer entre dix heures et onze heures du soir ?