L'imposant météore de la foudre a toujours fortement impressionné l'esprit des hommes. Les nuées qui s'entr'ouvrent, et font jaillir subitement une éblouissante clarté ; le tonnerre qui retentit en roulements prolongés, et dont les échos répercutent au loin et redoublent les grondements sinistres ; la foudre qui s'élance en traits de feu, et porte sur son passage la destruction et la mort ; tout cet ensemble d'un phénomène effrayant et majestueux, a, de tout temps, exercé sur l'imagination une influence profonde[1]. Dans l'enfance des peuples, avec les préjugés qui obscurcissaient l'esprit des sociétés primitives, on ne put s'empêcher d'attribuer à ce phénomène une source divine, d'y voir la manifestation du courroux des dieux. Ces signes effrayants qui brillaient au sein des airs, reproduisaient avec tant de fidélité tout ce qu'avaient évoqué l'imagination des poètes ou les menaces des prêtres, qu'il était presque impossible que l'on n'y trouvât point un témoignage du ciel armé contre la terre, ou l'indice de la présence des dieux irrités. Les anciens législateurs et les premiers rois, ne manquèrent pas de profiter largement d'un fait naturel qui prêtait tant de poids à leur autorité, qui retenait par la crainte les peuples dans le devoir, et qui était si propre à les maintenir dans une erreur favorable à leurs desseins politiques. Aussi voit-on cette idée de l'origine divine du tonnerre apparaître dès les premiers temps de l'humanité, se montrer uniformément au berceau de chaque nation, et persévérer chez les anciens peuples avec une constance invincible.
Les premiers philosophes de la Grèce tentèrent par leurs poétiques fictions, de modifier cette notion primitive et universelle dans un sens mieux en harmonie avec le caractère de la religion païenne. Pour les Grecs, le tonnerre et les éclairs provenaient des Cyclopes, occupés dans les cavernes de Lemnos à forger les foudres qui devaient servir aux vengeances de Jupiter. Mais le don de faire retentir le tonnerre était réservé à la plus puissante des divinités de l'Olympe, et c'est avec cet attribut symbolique, c'est-à-dire la foudre en main, que la religion païenne a toujours représenté le père des dieux.
Les Romains, aussi bien que tous les peuples de l'Asie, partagèrent cette croyance que le tonnerre était une manifestation spéciale et caractéristique de la Divinité. En vain Lucrèce avait-il essayé de réfuter, en vers admirables, cet antique préjugé[2] : le sentiment d'un poëte sceptique ne pouvait opposer qu'une barrière bien faible à une superstition populaire dérivée de la religion, et en apparence justifiée par les faits.
On continua donc, chez les Romains, à considérer la foudre et les orages comme une manifestation spéciale de la volonté des dieux, Cette opinion se transmit et se maintint après eux, chez presque tous les peuples de notre hémisphère.
On connaît l'impression que produisirent sur l'esprit des habitants du Nouveau-Monde les mousquets et les canons des Espagnols. Si tout fuyait à l'approche des soldats de Pizarre et de Cortès, c'est que ces hordes sauvages ne pouvaient que regarder comme des dieux vengeurs, des conquérants qui s'avançaient tenant dans leurs mains la foudre et les éclairs.
[1] Les mots de foudre et de tonnerre ne sont pas synonymes. Pour la grammaire, comme pour la physique, le tonnerre est le bruit qui précède ou accompagne le trait de foudre.