Le Procès de la Technique

Le terme « procès » peut s'entendre en deux sens. Il y a bien sûr le plus évident, la mise en accusation juridique devant un tribunal où une personne est appelée à rendre des comptes devant la justice. Mettre la technique en procès revient à l'accuser d'un certain nombre de méfaits qu'elle aurait commis au cours de l'Histoire et de calamités dont elle est encore la cause aujourd'hui. Effectivement on trouvera dans ce volume un certain nombre de critiques dans ce sens. Mais ce n'est pas le plus important.

Le second sens du mot « procès » est moins courant, est une formule abrégée de « processus » ou encore de « procession ». Dans un sens logique nous pourrions écrire le « procès de la dialectique de Hegel ». Parler de « procès » de la technique veut dire ici évoquer son cours, son auto développement temporel. Le sens est moins critique que le précédent, il fait aussi partie des considérations de ce livre que l'on ne doit donc pas prendre comme une attaque en règle contre la technique en général. De toutes manières, comme dit Jacques Ellul, être contre la technique, c'est comme être contre la pluie ou une avalanche, cela n'a guère de sens. Ce n'est vraiment pas l'objet, puisqu'il s'agit surtout de la comprendre et de comprendre la place qu'elle occupe comme processus dans le monde et dans nos vies. Penser que la technique est un processus qui est devenu envahissant dans la culture de l'Occident est un fil conducteur tout à fait pertinent. Il permet de dépasser l'idée que la technique serait un simple moyen. Dans l'idée de moyen au service d'une fin, implicitement nous admettons une indépendance entre celui qui agit et les moyens dont il se sert, nous admettons alors que la technique est une manière de faite qui relève de l'habileté et ne contamine pas celui qui agit. Bref, nous pensons la technique sur un mode artisanal, ou mieux encore, sur un mode artistique.

L'idée est parfaitement juste à ce niveau et elle a même été célébrée par Ivan Illich quand il a développé ses thèses sur la convivialité. L'outil convivial, c'est celui qui est au service d'un savoir-faire qui n'aliène pas celui qui l'utilise. L'outil qui est véritablement au service d'une créativité qui n'est pas engluée au processus, en sorte que l'homme deviendrait esclave de la technique elle-même, asservie à sa nécessité propre, à son processus exponentiel, dans le sens exact où la Modernité a lancé ce processus quand le paradigme mécaniste est devenu une manière exclusive de penser le réel. Gandhi en ce sens a célébré l'arrivée de la machine à coudre, car il y voyait une manière de donner un instrument de travail efficace aux couturières indiennes, sans que cela oblitère leur habileté et leur créativité.

Mais il est évident que nous sommes passé bien au-delà de la compréhension traditionnelle de l'outil convivial.

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