Je suis encore tout émue, toute bouleversée d'une conversation que je viens d'avoir avec Cécile. Sensible aux reproches qu'elle m'avait adressés l'autre jour, j'avais repris de tout cœur le cours de mes observations et de mes études sur les mérites relatifs de MM. de Valnesse. Toutes réflexions faites, ma préférence s'était arrêtée sur M. René, qui me paraît décidément d'un naturel moins léger et d'une intelligence plus cultivée que son cousin Henri. Tout à l'heure, après le déjeuner, j'ai dit mystérieusement à Cécile que j'avais à lui parler.
Ah ! très-bien ! m'a-t-elle répondu assez sèchement. Et de quoi ?
Mais de ce qui t'intéresse si fort.
Rien ne m'intéresse si fort ! Enfin voyons !
Un peu surprise de ce début, je l'ai emmenée sous les sapins du parc.
Eh bien, ma chérie, lui ai-je dit, mon choix est fait !
Ah ! tu y as mis le temps !
Le choix en sera meilleur, ai-je repris en riant.
Je lui ai conté alors mes longues hésitations ; puis je lui ai énuméré toutes les raisons qui me semblaient faire pencher la balance en faveur de M. René.
Elle m'avait écoutée d'un air singulier, les lèvres serrées, les yeux distraits, frappant çà et là les troncs d'arbres du bout de son ombrelle. Quand j'ai eu fini :
Il y a un malheur, a-t-elle dit, c'est que, moi, je préfère l'autre.
Quel autre ?
Mais, M. Henri, naturellement.
Le malheur n'est pas grand, ma mignonne car, ainsi que je te l'ai dit, je ne vois entre ces deux messieurs que des différences à peine saisissables, des nuances, et, dans cette égalité de convenances, de qualités et de mérites, il est bien clair que c'est ton goût personnel qui doit prononcer et l'emporter.
Ainsi, toi, a repris Cécile, tu épouserais M. René ?
Il ne s'agit pas de moi.
Mais enfin l'épouserais-tu si tu étais libre de le faire ?
Non.
Pourquoi ?
Parce que je ne l'aime pas.
C'est-à-dire qu'il ne serait pas digne de toi, mais qu'il est assez bon pour moi !
Ma chérie, ai-je répliqué tranquillement, si tu le veux bien, nous remettrons cet entretien à un moment où tu seras de meilleure humeur.
Non, c'est que vraiment, s'est-elle écriée en agitant son ombrelle, c'est une chose incroyable blessante que cette fureur que vous avez tous de vous débarrasser de moi, mon père, ma tante et toi enfin ! Au reste, je ne suis pas votre esclave on ne marie pas les filles de force et je te le dis nettement, ma chère comme je le dirai à mon père et à ma tante : je ne veux pas me marier !
Quant à cela, ai-je dit, rien n'est plus facile, ma chère enfant.
J'aime mieux cent fois rentrer au couvent !
Pardon, ma chérie, ce n'est pas dans un couvent que tu devrais entrer, c'est dans une maison de santé En attendant, je rentre, moi, dans ma chambre.
Je m'éloignais, car ma patience, qui est grande pourtant, était à bout. Elle m'a retenue par le bras.
Charlotte ! ne m'abandonne pas je suis malheureuse !
Et, suivant sa tendre manière, elle s'est jetée à mon cou en pleurant.
J'étais profondément troublée, car ce mot : « Je suis malheureuse ! » avait fait jaillir dans mon esprit une lueur effrayante.
Mais enfin, ai-je murmuré à travers les caresses que je lui prodiguais, qu'est-ce qui se passe ? qu'as-tu ?
Elle me répondait en secouant la tête et en balbutiant des paroles entrecoupées :
Rien rien je ne sais pas je ne sais vraiment pas !
Quand je l'ai vue un peu remise, je l'ai de nouveau pressée de questions ; elle me regardait par instants fixement, comme si elle eût été sur le point de me confier quelque secret ; puis elle soupirait et se taisait.
Enfin elle a pu me donner une explication telle quelle de son émotion et de son désordre.
Tant qu'elle apercevait le mariage, m'a-t-elle dit, dans un horizon lointai