Le nom du Minotaure

En jugeant l'état de mes propres mains, j'imagine l'odeur de la dernière sueur, la pâleur lumineuse de la peau blanche et fripée, proche de la nécrose, friable comme la poussière qui glisse sur le marbre d'un gisant que plus rien, hommes ou éléments, ne visite encore, pas même un chiffon doux ; ou les yeux clairs qui se vident de tout flambant, s'agrandissant comme pour respirer, qui à la fin se figent quand le cœur s'arrête ; et aussi, tout autour, les passeurs que le mort ne voit ni n'entend plus, à la fois tristes, attendris et respectueux ; même les enfants qu'ont fait venir, en hésitant un peu, pour l'adieu au corps ; et le dernier regard vers le visage plus grave, presque permanent, déjà plus antique que l'homme expirant à travers la matière qui aussitôt se néantise sur le lit du mort. Était-il encore lucide dans une dépouille aussi malade pour apprécier la bienveillance d'une telle compagnie ? Souffrait-il dans sa chair ? Et l'âme ? Dans quel gouffre s'abimait-elle, aidée peut-être par la scansion d'une prière ? Fut-il en paix d'être si bien entouré par sa postérité, presque comme à la garde ? Ou, incertain des fardeaux de son « devoir », était-il bordé des fantômes de ces hommes qu'il avait envoyés à la mort et qu'aucun d'entre-nous ne put presque jamais sauver ? Comparait-il la douceur de son agonie avec la brutalité de la leur ? Était-il « sans regrets ni remords » comme le prétend le journal ? Vraiment ? Est-ce être un homme que de mourir en paix, les mains propres, sans questionner son passage, et ce que laisseront ses actes dans leur sillage ?

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