Depuis cinq ans j'étais cloué sur mon fauteuil. De temps à autre, on me descendait dans une voiture découverte et, pendant une heure ou deux, l'on me promenait à travers la ville ou sur les chemins des prochaines campagnes.
Mes jambes ! il n'en fallait plus parler ; un de mes bras allait encore, et c'est grâce à lui que je pouvais manger seul. Sans cela !
Mais les yeux étaient bons encore et l'ouïe fine. Je lisais avec avidité jusqu'à ce crue la fatigue me terrassât. Cela me faisait mal, et souvent les miens cachaient les livres pour que j'eusse l'esprit en repos.
Je me fâchais alors et je devenais méchant.
Heureusement, il y avait un moyen infaillible de me calmer, et l'on ne se faisait pas faute de l'employer. On me jouait quelques vieux airs d'opéra que j'aimais ou quelque nouveauté d'une pénétrante grandeur, et, comme le roi Saül, je reprenais ma sérénité.
Dès les premières notes, j'éprouvais une sensation délicieuse. Et, quand c'était fini, je restais sous le charme longtemps.
On eût juré que je venais de prendre quelque bain céleste dont la vertu avait soudain détendu mes nerfs, ces terribles nerfs sous l'étreinte desquels je succombais lentement, horriblement.