Extrait: Non loin des dunes qui bordent la côte de Dunkerque, il existait, à la fin du siècle dernier, une petite colonie de pauvres pêcheurs dont les mœurs, entièrement étrangères à celles de la ville, avaient conservé une simplicité toute patriarcale, malgré le bouleversement révolutionnaire qui venait d'ébranler l'Europe. Ignorant le tourment des passions, sachant se contenter de la vie la plus frugale, ces hommes simples et laborieux ne s'inquiétaient pas de l'avenir, dont ils confiaient le soin à la Providence, et ils travaillaient gaiement, non pour amasser des richesses, mais pour subvenir aux stricts besoins de leur famille. L'un d'eux, nommé Noel, se distinguait surtout par son activité et ses vertus hospitalières. Quoiqu'il ne possédât que sa cabane, une barque et des filets, toujours il était le plus empressé à secourir le pauvre voyageur qui venait s'abriter sous son toit, et il se montrait aussi le plus intrépide au milieu des périls que sa profession l'obligeait d'affronter.
Marié depuis vingt ans, et tendrement aimé de sa ménagère, il n'avait d'autre souci que d'être souvent forcé de s'éloigner de son paisible foyer, et c'était toujours avec une joie nouvelle qu'il y revenait ; car il savait que sa bonne Thérèse n'était heureuse que quand elle le voyait à l'abri du danger. Thérèse, en effet, était livrée aux plus vives alarmes tant que durait l'absence de Noel : aussi craintive qu'il était hardi, elle redoutait pour lui les moindres orages, et faisait des vœux continuels pour qu'il abandonnât un métier si périlleux.
Un jour qu'il était en mer depuis le matin, avec plusieurs autres pêcheurs, et qu'elle attendait impatiemment son retour en filant devant sa porte, elle vit tout à coup de sombres nuages s'amonceler au-dessus de sa tète ; l'air s'épaissit, de larges gouttes d'eau commencèrent à tomber, et toutes les craintes de la pauvre femme se réveillèrent. En cet instant, un vieux matelot vint à passer, et lui dit en montrant l'horizon :
« Voilà qui s'annonce mal. Gare aux bâtiments qui sont sur la côte ! c'est une rage que ces bancs de Flandre pour les pauvres marins. »