Pourquoi voulez-vous m'arracher à ma solitude et troubler ma tranquillité ? Vous ne pouvez pas vous persuader que je sois absolument déterminé à vivre à la campagne. Je n'y suis que depuis un an, et ma persévérance vous étonne. Comment se peut-il faire, dites-vous, qu'après avoir été si long-temps entraîné par le torrent du monde, on y renonce absolument ? Vous croyez que je dois le regretter, et sentir, dans bien des momens, qu'il m'est nécessaire. Je suis moins surpris de vos sentimens que vous ne l'êtes des miens ; à votre âge, et avec tous les droits que vous avez de plaire dans le monde, il seroit bien difficile qu'il vous fût odieux. Pour moi, je regarde comme un bonheur de m'en être dégoûté, avant que je lui fusse devenu importun. Je n'ai pas encore quarante ans, et j'ai épuisé ces plaisirs que leur nouveauté vous fait croire inépuisables. J'ai usé le monde, j'ai usé l'amour même ; toutes les passions aveugles et tumultueuses sont mortes dans mon cœur. J'ai par conséquent perdu quelques plaisirs ; mais je suis exempt de toutes les peines qui les accompagnent, et qui sont en bien plus grand nombre. Cette tranquillité, ou, si vous voulez, pour m'accommoder à vos idées, cette espèce d'insensibilité est un dédommagement bien avantageux, et peut-être l'unique bonheur qui soit à la portée de l'homme...