Le 3 août 1865, Sainte-Beuve, rapporteur des prix de vertu à l'Académie française, eut à louer un respectable ecclésiastique du diocèse de Besançon, M. l'abbé Brandelet. Il s'acquitta de cette tâche, qu'on avait crue embarrassante pour lui, avec un tact, une mesure, une bonhomie spirituelle qui emportèrent tous les suffrages. Le succès fut grand.
Cependant, on blâma un peu l'illustre auteur des Lundis, quand il avait à faire l'éloge d'un prêtre catholique, de lui avoir cherché un modèle dans une Église dissidente. Pourquoi parler du vicaire de Wakefield ? Pourquoi ne pas nommer de préférence Mgr de Cheverus, Mgr Miollis, Mgr Dupuch, ces trois héros de la charité chrétienne, ces trois gloires de l'épiscopat français ?
Sainte-Beuve s'émut de ces reproches, et, lorsqu'il imprima son discours, au neuvième volume des Nouveaux Lundis, il l'accompagna de ces lignes, que nous sommes fier de reproduire :
« J'ai été un peu grondé par quelques organes de la presse catholique pour cette réminiscence du vicaire de Wakefield : que serait-ce si je m'étais laissé aller à un souvenir littéraire beaucoup plus voisin et si j'avais fait quelque allusion à un personnage d'un des meilleurs romans modernes, l'abbé Courbezon, que l'auteur, M. Ferdinand Fabre, semble avoir étudié d'après nature ? L'abbé Courbezon a également la passion, mais qu'il pousse jusqu'à la manie, des fondations, des constructions ; ce faible l'entraîne beaucoup trop loin : avec un cœur d'or, il lui arrive de commettre de sublimes, mais aussi d'irréparables imprudences. C'est précisément là le sujet du roman de M. Ferdinand Fabre. J'aurais cru manquer de goût et de mesure en me permettant la moindre allusion publique à un livre dont le personnege-type n'est point suffisamment connu, et n'est pas apprécié comme il pourrait l'être : mais il n'est aucun des lecteurs du roman auquel ne soit venu en idée, en m'entendant célébrer le bon curé de Laviron, cet autre curé, si touchant et si respectable, honneur et douleur de la famille des Courbezon ; et je suis bien sûr de ne point manquer au respect que j'ai pour mon sujet, en glissant ici cette note qui satisfera les littérateurs et que comprendront les moralistes. »
Le souvenir des Courbezon devait être évoqué encore une fois sous la coupole de l'Institut.
Le 13 août 1874, ce fut M. Cuvillier-Fleury qui, à propos des prix de vertu, prononça le discours d'usage. Le morceau, consacré tout entier aux petits, offre le plus parfait modèle du genre ; plein de pensées généreuses et hautes, il est en même temps d'une éloquence émue qui trouble le cœur et met des larmes dans les yeux.
Une médaille de première classe ayant été attribuée à un prêtre, M. l'abbé Massonneau, du diocèse d'Angers, l'honorable rapporteur rappelle la tradition constante de l'Académie française d'aller chercher des lauréats partout, jusque dans l'Eglise, « où le sacrifice attend une récompense supérieure aux récompenses de la terre, » et, comme il n'oublie plus ceux qu'il a une fois distingués, se détournant une minute du sujet principal, il écrit la note suivante :
« L'abbé Brandelet, recommandé à l'Académie, en 1865, dans un édifiant rapport de M. Sainte-Beuve, a peut-être servi de modèle au pieux héros des Courbezon. On sait que cet excellent livre de M. Ferdinand Fabre, roman, si l'on veut, mais vrai sans réalisme et touchant par sa simplicité même, a été couronné, en 1872, par l'Académie française. »
M. Cuvillier-Fleury ne dit pas tout ; mais il nous appartient, à nous qui restons encore après trois ans pénétré de la bienveillance de son accueil, de nous montrer moins discret. Nous le déclarons donc avec la simplicité d'un obligé reconnaissant, c'est à M. Cuvillier-Fleury, à son indulgente initiative, à ses actives démarches que nous dûmes l'honneur de notre couronne académique. Aux premiers jours de 1872, quand on échappait à peine à l'horrible guerre dont le pays subit l'écrasement, dans le trouble g