La comtesse se fit suivre à la promenade par la nourrice et le nourrisson,
répondant aux étonnements par des plaisanteries, et jouant à la
jeune mère avec beaucoup de naturel.
Mais le ciel, paraît-il, n'avait pas pris la plaisanterie d'aussi bonne
grâce, car un beau matin, après quelques mois de maternité fictive, la
comtesse s'aperçut qu'elle était mère pour tout de bon.
Ceci ne lui prêta point à rire. D'abord, elle était mariée depuis une
douzaine d'années, et puis, qu'allait-elle faire de l'enfant qu'elle avait si
malencontreusement adopté, à présent qu'il y en aurait un autre ?
Faute de mieux, elle se borna à espérer que ce serait un garçon. Mais,
quand la Providence s'amuse à nos dépens, elle ne fait pas les choses à
demi : le garçon fut une fille !
Le comte en prit aussitôt son parti : les deux fille?es grandiraient ensemble,
les jeux et les études n'en seraient que plus faciles pour Zina.
Mais la comtesse, plus pratique, vit plus loin dans l'avenir, et se dit qu'il
faudrait marier Vassilissa de très bonne heure afin qu'elle ne fut pas un
encombrement trop sérieux.
À vrai dire, depuis ce moment-là elle ne l'aima plus du tout ; et, si elle
n'alla pas jusqu'à la haïr, c'est parce que sa foi religieuse et son devoir de
charité lui commandaient d'aimer et de protéger une enfant sans défense
dont, en outre, elle était la marraine.
La Providence, prenant toujours au sérieux le désir de la comtesse
d'avoir des enfants, lui envoya un fils, Dmitri, sept ans après la naissance
de Zénaïde. Ce?e fois, ce fut un vrai désespoir : la comtesse resta six mois
sans sortir de ses terres, et les plus proches mêmes n'entendirent parler
de l'événement qui donnait un héritier mâle aux Koumiassine que lorsque
le fait fut accompli.