Depuis soixante-dix ans en Angleterre, en France depuis trente ans, l'état réglemente par des lois le travail des enfants employés dans l'industrie. Ni les objections de principe ni les difficultés d'application n'ont prévalu contre l'opinion, qui a constamment soutenu la justice de l'intervention législative et réclamé des mesures efficaces de protection à l'égard des jeunes travailleurs. L'état en effet a le double devoir de sauvegarder l'intérêt social et de secourir des mineurs incapables de défendre leur santé ou leur existence menacées. La société doit veiller sur le sort des générations nouvelles. Comment laisserait-elle moissonner avant le temps ou affaiblir par des fatigues excessives ceux qui doivent faire sa force et sa richesse ? Comment ne se garantirait-elle pas contre l'égoïsme ou l'aveuglement des intérêts particuliers, qui volontiers couperaient le jeune arbre pour en cueillir le fruit ?
Qu'on ne dise pas que les inquiétudes sur ce point sont exagérées. Les statistiques du recrutement militaire nous apprennent que sur 325,000 jeunes gens qui dans l'une des dernières années se présentaient à la conscription, on comptait 109,000 réformés pour défaut de taille, rachitisme, infirmités ou faiblesse de constitution. Quelle est, dans ce contingent du vice et de la maladie, la part des campagnes et celle des centres d'industrie ? Contre 10,000 conscrits aptes au service dans dix départements agricoles, la proportion des réformés est de 4,029 contre le même nombre de conscrits valides dans dix départements industriels, on trouve 9,930 réformés. Dans la Marne, la Seine-Inférieure, l'Eure, contrées essentiellement manufacturières, cette proportion s'est élevée jusqu'à 14,451 réformés contre 10,000 jugés bons pour le service.
De tels faits touchent de trop près à l'avenir politique et social du pays pour que l'état puisse s'en désintéresser ; mais comment régler l'ingérence administrative ? La question soulève bien des problèmes délicats : il faut ménager à la fois l'autorité paternelle, l'intérêt des familles, la liberté de l'industrie, les nécessités de la concurrence.