qUe dirait son père ? Avait-il le droit de le faire souffrir si horriblement
? Et sa petite soeur sa pauvre petite Madeleine
Il pleura.
Il pleura jusqu'à ce qu'il se fit une torpeur dans son cerveau, et, brisé
de fatigues, d'émotions, de sentiments divers, il s'endormit.
Son sommeil ne fut pas long, mais il s'éveilla cependant allégé et plus
dispos. Il était déjà six heures. Il se fit une toile?e sérieuse, regarda froidement
ses pistolets et se dit : allons.
Tout à coup, la pensée de son père le ressaisit plus violente que jamais.
De s'en aller comme ça, sans un mot d'adieu, sans un encouragement,
il eut peur. Il trouva que c'était cruel pour son père, plus cruel pour luimême
et il oscilla entre ces deux angoisses : celle de lui planter en plein
coeur, sans préparation aucune, ces mots : « je vais me ba?re », ou celle
de ne pouvoir garder de lui au moins une parole qu'il se répèterait le long
de la route et qui, lui semblait-il, l'aurait fortifié pour le combat.
Si, en dehors, pour le monde, Gabriel était un homme, au sein de ce
foyer heureux, il était encore un enfant et il eut peur de reculer.
Il écouta, rien ne bougeait dans la maison, et, entrebâillant la porte de
la chambre de son père, doucement, dans la crainte de l'éveiller, il voulut
aller au moins déposer un baiser d'adieu sur son front.
En dépit de ses précautions, le contact de ses lèvres glacées tira subitement
son père de son sommeil et, avant qu'il put s'échapper, il entendit
un appel douloureux d'angoisse :
?e fais-tu Gabriel ? ?e se passe-t-il ? Tu ne réponds rien tu
m'épouvantes.