Pendant longtemps, on a ignoré quels étaient les vrais caractères de l'opposition religieuse si ardemment combattue en Russie par l'église orthodoxe. La diversité des sectes par lesquelles se manifestait cette opposition ne permettait guère de dégager le sens véritable de ce mouvement un peu confus. Le gouvernement de son côté ne négligeait rien pour que la publicité ne s'emparât point des questions agitées entre l'église et les non-conformistes. Aujourd'hui deux circonstances facilitent l'étude des dissidences religieuses dont la Russie est le théâtre. L'opposition à l'église en ce qu'elle a de vraiment sérieux tend à se concentrer dans une seule secte, celle des vieux croyans [1], et on peut aisément dès lors préciser les vœux, apprécier le rôle des dissidens. D'autre part, le gouvernement ne paraît plus redouter que la lumière se fasse sur les tendances et les progrès des sectaires. Jusqu'à l'avénement de l'empereur Alexandre II, sauf quelques exceptions qui remontent au dernier siècle, on avait évité avec soin toute allusion aux nombreuses dissidences qui donnent si justement ombrage au clergé orthodoxe [2].
[1] On désigne sous ce nom les dissidens qui, tout en acceptant les dogmes de l'église orthodoxe, rejettent ses rites et repoussent les changemens introduits dans les textes sacrés par le patriarche Nikon.
[2] MM. Grigorovitch et Tourguenef avaient été obligés de sacrifier, l'un dans son roman des Pêcheurs, l'autre dans ses Récits d'un Chasseur, des pages remarquables où quelques détails sur les mœurs des sectaires avaient trouvé place.