Je ne suis point ce qu'on me suppose être. Je suis tout autre. Peutêtre
avant d'aller plus loin, serait-ce mieux d'indiquer d'abord ce que l'on
suppose que je suis.
On suppose, ou je me trompe fort, les membres réunis de notre famille
me relèveront si je commets une erreur, ce qui est bien probable
(ici, le parent pauvre promena autour de lui un regard plein de douceur
pour encourager la contradiction), on suppose que je ne suis l'ennemi
de personne que de moi-même et que je n'ai jamais réussi en rien. Si j'ai
fait de mauvaises affaires, c'est, dit-on, parce que j'étais impropre aux
affaires et trop crédule pour pénétrer les desseins intéressés de mon associé
; si j'échouai dans mes projets de mariage, c'est parce que, dans ma
confiance ridicule, je regardais comme impossible que Christiana consentît
à me tromper ; si mon oncle Chill, dont j'a?endais une belle fortune,
me donna mon congé, c'est parce qu'il ne me trouva pas l'intelligence
commerciale dont il m'aurait voulu voir doué. Enfin, je passe pour avoir
été toute ma vie continuellement dupe et désappointé, à quoi on ajoute
que je suis à présent un vieux garçon âgé de cinquante-neuf ans et bien
près de soixante, qui vit d'un revenu limité sous la forme de pension payée
par quartier, chose à laquelle je vois que notre estimable hôte John ne
veut pas que je fasse davantage allusion. Voilà pour le passé. Voici ce
qu'on suppose encore de mes habitudes et de mon genre de vie actuel :