Il n'y a dans ce monde que des gens mariés et des gens qui ne le sont pas, et il existe entre eux une scission éternelle...
Les premiers, ayant des femmes à conserver, se tiennent sur la défensive ; les seconds, n'ayant rien à perdre, gardent sans cesse l'offensive...
Les gens mariés forment une caste à part, qu'on appelle la société ; les jeunes gens ne forment que le monde des jeunes gens. Les jeunes gens vont chez les maris, mais les maris ne vont point chez eux. Aucune femme honnête ne peut rendre visite à un célibataire sous peine de déconsidération.
Enfin, pour combler la mesure, on est convenu d'appeler sérieux les gens mariés, et légers les gens qui ne le sont pas.
Il n'y a pas d'institution plus raillée, plus obéie et plus en honneur que le mariage.
Il n'y a de moralité qu'en lui, disent les livres de morale. Il faut que la jeunesse se passe, prêche la sagesse du monde.
Sainte institution ! s'écrie l'homme marié ; et il a une maîtresse en ville.
Il est de bon goût et de bon ton de se marier ; il n'est pas de mauvais goût non plus de médire du mariage.
Presque tous les vieux mariés s'en moquent, ainsi que les jeunes gens.
Quelquefois, ce sont les deux époux ensemble.
Quelquefois aussi, un an après, le jeune homme marche gravement à la bénédiction nuptiale.
Après quoi, le lendemain : « Quand vous mariez-vous ? » vous demande-t-on, si vous avez un certain âge, comme on vous dirait : « Et quand faites-vous cette petite visite ? »
A entendre certaines gens, il en est du mariage comme de l'armée : tout le monde doit y aller, mais personne ne doit y finir ses jours.
Il est bon de se marier, il est sage de ne pas recommencer.
Les veufs acquièrent dans le monde la considération de ces voyageurs pleins d'expérience revenus de pays lointains ; ils ont fait leurs preuves, ils connaissent tous les secrets de la vie. Il parlent du mariage comme d'expéditions aventureuses d'où l'on ne s'en retourne qu'à force de bonheur, de privations et de courage.
Ne dirait-on pas que, pour prendre femme, il faille avoir leur tête, et une force à supporter les colonnes d'Hercule ?
Aucun de ces récits terribles ne peut effrayer la foule des hommes à marier, qui regarde la tête des veufs, sourit et court ensuite au mariage, comme elle aborderait une redoute, avec une furie toute particulière.
Quelle magnifique position, à première vue, que celle d'un homme à marier ! Le plus nul peut croire un moment à des succès réels. Les mères lui sourient, les pères le cajolent, et les jeunes filles le regardent à la dérobée.
Mais là s'arrête son triomphe, car il n'a pas le droit de connaître sa future.
Dans les pays civilisés, on choisit sa maîtresse, on ne choisit pas sa femme.
Vous tournez en vain autour des jeunes filles, vous êtes surveillé. De quel regard inquiet vous poursuivent les mères !
Aussi, après quelques recherches infructueuses, de guerre las, et n'entendant parler autour de soi que d'anges à marier, on se décide à choisir le premier ange venu. Et aussitôt pris, aussitôt pendu, je voulais dire marié.