Céline fit à sa sœur cette inepte plaisanterie qui consiste à placer son doigt près du nez d'une personne endormie et à la réveiller brusquement. Désirée frappa sa narine gauche contre l'index de Céline. Que c'est bête ! cria-t-elle.
Les femmes se tordirent.
Allons, mesdames, un peu de silence, hasarda la contre-maître.
L'on entendit comme un long bourdonnement que traversa soudain la flûte d'un rire, puis deux voix claironnèrent, soutenues par le ronronnement des presses, une chanson patriotique. Les gosiers des hommes, gosiers saccagéspar le trois-six, tonnèrent également, trouant de leur toux rauque les cris grêles des filles :
"Il est mort, soldat stoïque,
il est mort pour la républi-ique ! "
Allons, mesdames, un peu de silence, hasarda la contre-maître.
La presse haleta et mugit plus fort, les massiquots grincèrent, les couteaux de bois firent entendre leur sifflement doux sur le papier ; les petits bancs qui tombent, les ballots qu'on jette sur la table, retentirent, interrompus par le jet vibrant des gaz, par le bourdon du poêle. Des rires fusèrent d'un bout de l'atelier à l'autre, s'éteignirent, puis reprirent en un long roulement.
Mesdames, mesdames ! Un peu de silence ! hasarda la contre-maître.
Çà, de gros rhumes grondaient, là, des joies dégingandées s'étouffaient à braire, çà et là, des raclements, des roulades de gorges déchiraient la tempête qui allait croissant.
Dans un coin, un rire aigu sautilla, seul, dansant au-dessus du tumulte. Il y eut un instant de répit. Un chat en chaleur miaula furieusement, puis une voix larmoyante s'éleva :
Mesdames, je vous ai respectées, toute la nuit !
Le coup de tonnerre d'une énorme pile qui s'écroule coupa net l'engueulée du chœur qui huait la femme. Personne n'avait reçu la pile sur la tête. Les chansons reprirent.