Depuis quelques mois, le gouvernement français se livre, par l'entremise du conseil supérieur du commerce, à une enquête pour constater l'état de notre marine marchande et rechercher le système de législation qu'il convient de lui appliquer. Les enquêtes sont un des moyens les plus usités dans les pays libres pour éclairer les questions de l'ordre matériel. Elles appellent tous les intérêts comme devant un jury, lorsqu'il s'agit de leur imposer une loi nouvelle. Elles mettent au grand jour de la publicité des faits jusque-là renfermés dans la sphère étroite d'un travail spécial ou d'une production particulière. Elles rendent accessibles à l'examen et au contrôle du public les parties les plus techniques de la science économique, et fournissent les élémens de la pratique la plus usuelle à ceux qui ont mission de juger si la législation est en rapport avec l'état de la société. Grâce à l'action bien dirigée des enquêtes, les mesures les plus radicales, les transformations les plus profondes, au lieu d'être de véritables coups d'état qui troubleraient les esprits plus encore que les intérêts, deviennent de sages réformes, et se légitiment aux yeux de tous.
Avons-nous besoin de dire que ce travail d'investigation doit précéder et non suivre les grands changemens du système économique ? Jusqu'à présent, on l'avait toujours compris ainsi. En 1828, quand le sucre de betterave commençait à prendre de l'importance, quelques-uns de nos ports de commerce demandaient qu'on le contînt dans son développement par la concurrence du sucre étranger ; nos colonies au contraire réclamaient plus de protection. Avant de rien décider à propos de ce conflit d'intérêts, le gouvernement eut recours à une enquête qui fut dirigée par M. de Saint-Cricq. En 1834, lorsque déjà quelques esprits éclairés posaient comme une nécessité le retrait graduel du système des prohibitions et des droits prohibitifs qui absorbait l'activité commerciale du pays au bénéfice de quelques industries privilégiées, une enquête fut également ordonnée et exécutée sur la plus large échelle ; mais toutes les questions qui s'y produisirent étaient intactes, et aucun fait accompli ne pesait sur l'opinion de ceux qui étaient interrogés, pas plus que sur ceux qui étaient chargés de recueillir les résultats de l'enquête. Le gouvernement anglais a procédé avec le même scrupule, lorsqu'en 1847 il eut la pensée de rapporter l'acte de navigation de 1651. Avant de s'engager dans la voie de la liberté absolue en matière de navigation, avant de présenter le bill par lequel il devait abandonner la politique séculaire de l'Angleterre, il provoqua une large manifestation des intérêts que ce changement pouvait compromettre : il écouta les constructeurs, les armateurs, les capitaines de navires, les commerçans, les manufacturiers, tous ceux qui, de près ou de loin, pouvaient ressentir les effets du système nouveau.