DANS la liste des étrangers qui sont arrivés à Nice pour y passer la saison d'hiver, je trouve le nom de la comtesse d'Elven. La comtesse a loué une villa isolée, aux environs de Cimiez ; le jardin est entouré de murs, la grille garnie d'épais volets, et les fenêtres qui donnent sur la route restent constamment fermées.
Devant la villa, une corbeille d'orangers et de citronniers forme la bordure d'un vaste bouquet de roses, de violettes et de camélias ; la comtesse Niva d'Elven est ensevelie vivante dans ce tombeau de fleurs.
La disparition subite de cette mondaine, naguère si brillante et si recherchée, remonte à quelques mois à peine.
Paris est la ville où il est le plus difficile de se cacher, dès qu'on y a obtenu ou conquis une notoriété quelconque. Les murs y sont de verre ; on sait où vous demeurez, quelles sont vos habitudes et vos préférences.
Paris se réveilla un matin en se demandant ce qu'était devenue la comtesse d'Elven. Elle avait sa loge à l'Opéra et aux Italiens, elle recevait le lundi et donnait à danser le jeudi. Tout à coup, sans que personne eût été prévenu, l'hôtel d'Elven se trouva fermé ; il n'y resta pas même un concierge chez qui l'on pût déposer une carte et prendre des renseignements.
C'est en vain que les familiers des salons promenèrent un lorgnon inquiet sur les allées du bois de 1 Boulogne et sur les tribunes de Longchamps ; il leur fut impossible de découvrir la belle fugitive.
Madame d'Elven est partie, enlevée, disparue ! Cette nouvelle retentit comme un glas funèbre dans le monde circonscrit entre le faubourg Saint-Germain et la rue de Tilsitt.
Les femmes sont si rares à Paris ! Il y en existe trente à peine. J'entends des femmes de l'espèce de madame d'Elven, dont le mari tient si peu de place qu'on peut les prendre tour à tour pour des veuves ou pour des demoiselles.
Que de créatures se croient femmes qui ne doivent leur sexe qu'à la robe et à l'éventail ! Sirènes sans écueil qui ne vous offrent même pas l'attrait d'un danger !
Tendre par caprice, emportée par bouffées, vive, insouciante et prodigue, la comtesse d'Elven était, comme Suzanne, la fiancée de Figaro, pleine de grâce et de délices, avec quelque chose de plus, c'est-à-dire l'innocence de moins.
Que de larmes au seuil de sa porte ! que de soupirs sous son balcon ! que de promesses faites, que d'espérances déçues !
Niva d'Elven, pour qui tant d'épées avaient lui au soleil, pour qui tant de balles avaient déchiré l'air, Niva n'était plus à Paris. Qu'était-il arrivé ? Enlevée ? elle, pourquoi ? Le comte d'Elven habitait tantôt Londres, tantôt Vienne, elle n'avait qu'à ne pas se déranger pour être libre. Couvait-elle une de ces grandes passions qui exigent la solitude ? Les passions naissaient sous ses pas, mais aucune n'avait pu prendre racine sur ce glaçon qu'elle appelait son cœur. Elle ne s'était donnée que pour se reprendre aussitôt.