L'acteur, en présence des deux bustes de Shakspeare et de Molière, et entouré de tous les comédiens du Théâtre-Français, salue d'abord Shakspeare.
Shakspeare !
Son grand nom plane sur les deux Mondes, Et dans tout esprit d'homme il vit, il parle, il est, Mieux qu'aux jours où, cerveau plein de choses profondes, Comédien tragique, il faisait vivre Hamlet.
Il incarne un pays, le Nord, la forte race ; Il apporte son cœur, le cœur universel, Et, créateur divin, ce maître, force et grâce, Fait l'Angleterre illustre et grande sous le ciel.
Il vécut. Il connut tout le souci d'être homme ; Fils de femme, il souffrit par la haine et l'amour ; Il connut la misère, et, comme Plaute à Rome, De manœuvre, il se fit roi des âmes un jour.
Il pensait. Son cerveau, terrible chambre noire, Portait tout l'Univers, corps, âme, esprit, complet ! Ainsi fait, à lui-même il ajoutait l'Histoire : Dans Plutarque, le monde antique lui parlait.
Il chanta. Tout le fond de la vie, il l'exprime : Le songe d'exister, tous les biens, tous les maux, Amour, tendresse, horreur, gaîté, folie et crime, Tout, tout ! Et c'est l'orage et l'océan des mots !
C'est l'Océan ! Il a parfois de ces marées Qui semblent un assaut de déluge et de nuit : Cris, sanglots, tournoîments d'âmes désespérées Il déborde ! Voyez, son flot retourne à lui.
C'est Hamlet, Othello, Macbeth, Lear, des tempêtes ! Ô rêves, plus vivants que des êtres de chair ! Vous aussi, Desdémone, Ophélia, vous êtes ! Sœurs pâles d'Ariel qui va flottant dans l'air.
Et Roméo, Falstaff, et vous tous, c'est Shakspeare ! Et rien qu'avec des mots, ces mots qu'il disait vains, Il a créé ce peuple, un peuple qui respire, Chœur étrange et puissant de mensonges divins.
Il a vécu voilà trois siècles. L'Angleterre Doit un monde idéal à ce doux conquérant, Et l'acclamation des peuples de la Terre Ne salûra jamais un poète plus grand