Extrait: Jamais on ne s'était autant amusé à Moscou que dans les premiers mois de la terrible année « Douze. » Les bals succédaient aux bals, entremêlés de promenades, de concerts, de mascarades. Un grand souffle amoureux semblait passer sur Moscou. Beaucoup d'aventures galantes, enlèvements, fuites du toit paternel, duels, avaient eu lieu dans la société où brillaient à cette époque tant de remarquables beautés.
Le mois de mai touchait à sa fin. Malgré l'apparition de la comète et les bruits incessants de rupture probable avec Napoléon, personne ne croyait à la guerre, personne ne s'en préoccupait.
Dans une des riches maisons du quartier des Étangs-des-Patriarches, chez la veuve sexagénaire d'un général de brigade, la princesse Schéleshpansky, il y avait ce soir-là une réunion nombreuse. On fêtait la naissance du premier arrière-petit-fils de la princesse. L'année précédente, par une journée non moins belle, on avait célébré, dans une des propriétés de la princesse, à Lioubanovo, les noces de l'aînée de ses petites-filles, Xénia Valerianovna Kramaline avec Ilia Borisovitch Trapinine, secrétaire au sénat de Moscou et employé de la direction des théâtres.
En fêtant avec éclat le baptême du nouveau-né, la princesse avait encore un motif pour désirer qu'on se réjouît autour d'elle. La seconde de ses petites-filles, la fière et sérieuse Aurore Kramaline, était à la veille de se fiancer avec Vassili Alexévitch Pérovsky, officier du grand état-major, en congé à Moscou. La cour assidue qu'il faisait à Aurore agréait à la vieille princesse. Vassili avait été présenté à Aurore au dernier des bals d'hiver par le mari de sa sœur Ilia Trapinine, son ami et camarade d'études.