Il y a juste un an que je rendais compte du début de l'auteur de Shirley, de Jane Eyre. Je m'en souviens comme d'une bonne fortune littéraire. La lecture de Jane Eyre était le premier plaisir d'esprit que j'eusse goûté depuis cette laide révolution de février. J'aimais ce roman parce qu'on y sentait courir un souffle de jeunesse, de nouveauté, de franchise, et cette fraîcheur qui réjouit l'ame. Je l'aimais parce qu'il était écrit en haine de la fadeur, du joli de convention, de l'élégance énervée. Je l'aimais, malgré ses gaucheries, pour sa crânerie. Puis l'on porte un intérêt particulier à tout livre où l'auteur paie de sa personne. Jane Eyre s'annonçait comme une autobiographie ; mais l'auteur était inconnu. Qu'était ce Currer Bell ? Etait-il homme ou femme, un ou plusieurs ? C'est un homme, tranchaient les uns : une femme n'aurait pu tracer cette âpre et forte figure de Rochester. C'est une association d'écrivains, disaient les autres : il a paru des livres d'Ellis Bell, d'Acton Bell, et un volume de vers qui s'appelle les poèmes de Currer, Ellis et Acton Bell. C'est une femme, supposaient les mieux avisés, une femme indocile et brave qui s'est battue avec la vie. Ce bruit à l'entour d'un mystère semblait fêter la venue d'un George Sand anglais.
Quand une pareille émotion s'est produite autour du premier livre d'un écrivain, une impatiente curiosité l'attend à son second ouvrage. L'épreuve est surtout difficile pour ceux qui ont débuté comme Currer Bell par une œuvre passionnée. D'habiles observateurs littéraires disent qu'il en est du roman passionné comme de l'amour : le premier est le meilleur, le seul vrai ; c'est le plus pur du sang qui s'échappe au premier jaillissement du cœur.