Il y a des pays où la vie est tout extérieure, et où le voyageur peut s'en rapporter à ses premières impressions pour porter, sur les populations au milieu desquelles il a séjourné, un jugement définitif. Il en est d'autres, au contraire, qui ne se laissent que difficilement pénétrer. La Perse est de ce nombre. Pour y saisir le caractère national dans sa pleine indépendance, ce n'est pas la vie publique qu'il faut interroger. Les cérémonies officielles, les fêtes populaires ou religieuses, la magnificence des palais, la majesté des ruines, vous y laissent tour à tour charmé ou surpris, mais trop disposé peut-être à n'admirer que la Perse ancienne, et à méconnaître, sous l'impression des gloires du passé, l'intérêt qui s'attache encore aux modestes efforts du présent. C'est à ce double sentiment d'enthousiasme et de tristesse qu'il faut savoir résister quand on veut se rendre compte des germes de prospérité que recèle encore l'empire des Kadjars. Si l'esprit national sommeille aujourd'hui en Perse, c'est qu'il lui manque un aliment, un théâtre d'activité. Après avoir brillé tour à tour dans les arts ou dans la guerre, le génie persan, privé des puissans mobiles auxquels il obéissait autrefois, en est à chercher sa voie ; C'est dans la vie commerciale et industrielle qu'il lui serait peut-être donné de se retremper, si une main habile savait le ramener sur ce terrain trop négligé. L'abattement où nous voyons aujourd'hui les Persans a moins ses causes dans un vice du caractère national que dans un concours de tristes circonstances, dans une suite de révolutions et de luttes intestines, dont les conséquences déplorables se perpétuent encore sous nos yeux. L'histoire des troubles incessans qui depuis plus d'un siècle ont agité la Perse, opposée aux qualités du caractère national tel qu'il se montre dans la vie privée, opposée aussi aux ressources précieuses du territoire de l'Iran, telle est la meilleure réponse qu'on puisse faire à ceux qui doutent de la vitalité persistante et du réveil possible de la nation persane ; c'est l'intérêt de ce contraste, de cette démonstration, si l'on veut, qui nous ramène encore vers la Perse ; dont les récits précédens retraçaient surtout la physionomie extérieure [1], et dont il y aurait maintenant à interroger l'histoire contemporaine en même temps que la vie intime.
[1] Voyez ces récits dans les livraisons du 15 mai, 15 septembre et 15 novembre 1851.