Partis de Paris le 25 juillet, huit jours après la déclaration de guerre, nous arrivâmes le 8 août au soir à Wissembourg. Le 1er tirailleurs, dont j'étais, formait avec le 74e, un bataillon du 50e et deux régimens de chasseurs à cheval, l'avant-garde du 1er corps, sous les ordres du général Abel Douai. Nous devions le lendemain pousser une reconnaissance au-delà des fameuses lignes, et, si l'ennemi, dont on nous avait signalé la présence, était en forces supérieures, nous replier sans engager une lutte inégale. On nous fit camper dans une magnifique position défensive, sur les hauteurs, de Geisberg. Wissembourg nous couvrait à gauche. À droite, la Lanter et le chemin de fer nous protégeaient. En arrière, de grands bois nous offraient, en cas de retraite, un refuge assuré. Nous étions pleins de confiance. N'était-ce pas l'heureux vainqueur de Magenta qui nous commandait ? Ses vieilles troupes d'Afrique, éprouvées par tant de marches et de glorieux combats, n'étaient-elles pas là pour nous appuyer au besoin ?
Il avait plu toute la journée, et nous avions fait, pour nous sécher, de grands feux, auprès desquels nous passâmes la nuit, les uns à dormir, les autres à causer. Au point du jour, nous reçûmes l'ordre de plier les tentes et de nous mettre en marche. Une section d'artillerie et deux escadrons de cavalerie nous précédaient. L'artillerie prit position à 400 mètres, sur un étroit plateau qui forme comme le premier étage des hauteurs où nous avions campé. La cavalerie continua sa route, passa la Lauter, et descendit le vallon. Nous la suivions des yeux, non sans une certaine émotion. Il est vrai que rien ne décelait le voisinage de l'ennemi. Cependant nous savions qu'il garnissait les hauteurs d'en face et le village de Schwugen. Ne s'était-il pas de là, par les bois et les vignes, glissé jusqu'au bord du chemin, et n'allions-nous pas entendre éclater une fusillade qui décimerait les nôtres avant que nous eussions le temps de les secourir ? Une chose inquiétait surtout mon capitaine.