L'écrivain dont il est question dans le présent petit livre fut presque célèbre en Belgique vers le milieu du siècle dernier. Voici en quels termes s'exprime à son sujet Adolphe Quetelet, secrétaire perpétuel de l'Académie royale, dans la notice qu'il lui consacra après sa mort : « L'annonce de cette perte cruelle retentit de la manière la plus douloureuse dans toute la Belgique ; ce pays sentait, en effet, qu'il venait de perdre un de ses meilleurs citoyens et son poète lyrique le plus distingué. Chacun regardait comme un sujet de deuil public la mort prématurée d'un écrivain dont le talent faisait l'orgueil de notre jeune littérature ».
À présent il n'y a pas d'écrivain belge plus oublié que ce poète dont la mort fut déplorée presque comme un malheur national. Nos « jeunes » ne le citent pas parmi leurs précurseurs, et la plupart d'entre eux ignorent jusqu'à son nom. Les plus informés le connaissent peut-être, ce nom sonore et barbare qui s'impose au souvenir ; peut-être même savent-ils que Weustenraad est l'auteur d'un poème intitulé « Le Remorqueur », (c'est-à-dire, dans le langage de 1840, la locomotive). Mais leur science ne va guère au-delà ; et il y a des chances pour que ce titre éveille dans leur esprit l'image d'un bateau à vapeur.
Je ne voudrais pas encourir le ridicule d'avoir surfait un compatriote que le « milieu », le « moment », sa naissance et son éducation flamandes condamnèrent à n'être, trop souvent, qu'un médiocre écrivain français ; et je ne crois pas m'exagérer le mérite du « Remorqueur » ou de « La Charité », quelle qu'ait été jadis, en Belgique, la vogue de ces poèmes. N'importe. L'œuvre de Weustenraad me semble être quelque chose de mieux qu'une simple curiosité littéraire. D'abord elle exprime avec énergie, a sa date, les aspirations de la Belgique nouvellement constituée en nation, l'âme belge, si l'on veut ; et elle formule quelques-uns des nobles rêves dont se sont bercés, vers la même époque, les hommes d'Occident. En outre, notre compatriote a su mettre tant d'âme dans ses vers laborieux, que, plus d'une fois, malgré les lourdeurs et les gaucheries d'un style qui, à cette époque, était proprement le style belge, il s'y hausse jusqu'à l'éloquence et jusqu'au lyrisme. Au reste, quand même toute valeur manquerait aux « Poésies lyriques », il faudrait encore saluer en Weustenraad l'auteur de la première tentative faite après 1830 pour doter notre pays d'une littérature. Les « Jeune Belgique » se doivent d'honorer comme un ancêtre ce rude écrivain qui, cinquante ans avant eux, tenta de concentrer dans une revue jeune toute la production littéraire du pays.