On parle souvent au public français des romanciers, des poètes, des historiens, des philosophes et des hommes d'Etat de l'Angleterre moderne. Pourquoi ne lui parle-t-on jamais ou presque jamais de son théâtre ? Le premier mouvement est de répondre : « Parce que le théâtre anglais n'existe pas. » C'est une raison péremptoire, et qui dispense d'en chercher d'autres, si elle est vraie. Mais est-elle vraie ? A mon avis, elle l'était, il y a trente ans, elle ne l'est plus aujourd'hui.
S'il n'y avait pas de théâtre anglais, au moment où j'écris, il y aurait encore là un phénomène curieux à étudier, un problème intéressant à résoudre. La connaissance des avortemens intellectuels, des efforts impuissans (mais non perdus), des essais manques de la vie est, pour la critique comme pour toute autre science, la plus féconde des leçons, le plus étrangement suggestif de tous les spectacles. Il faudrait chercher par quelles raisons psychologiques, sociales, esthétiques, la race anglo-saxonne qui a produit Shakspeare, alors qu'avec 3 millions d'hommes elle couvrait un coin imperceptible de la planète, ne peut plus, aujourd'hui qu'elle est quarante fois plus nombreuse et qu'elle déborde sur le monde, produire autre chose que des clowns et des danseuses.
Mais, encore une fois, les données de ce problème seraient fausses et la solution, par conséquent, ne pourrait être qu'une duperie. Il y a un théâtre anglais. Le besoin existe et l'organe se crée. Quelque chose est en train de naître. Ce quelque chose paraît déterminé à vivre, se débat, péniblement mais résolument, contre les maladies de l'enfance, contre le péril des mauvaises influences, contre la brutalité des uns et l'aveugle tendresse des autres. C'est une lente et laborieuse croissance ; elle ne ressemble guère à ce merveilleux essor du drame primitif qui, à la fin du XVIe siècle, passa en trois bonds des bégaiemens de la puberté au plein épanouissement de la maturité et du génie. Ici, tout est doute, incertitude et confusion. L'effort n'est pas toujours conscient et le progrès est suivi de rechutes lamentables. Au milieu de tout cela, le drame vit, et il grandit.