Sylviane se trouvait dans un état d'esprit assez singulier. Elle réprouvait entièrement la conduite de Luc Saint-Wiff, mais elle s'apercevait cependant qu'aucun autre candidat ne lui plairait autant.
Elle était rentrée chez elle, presque inconsciente du chemin parcouru. Devant sa mère, toujours à l'affût de la moindre impression subie par son aspect, elle avait simulé l'enjouement, ne voulant pas raconter l'incident, qui brisait un avenir que Madame Foubry aurait jugé brillant et difficilement remplaçable.
Elle évitait ainsi à sa mère deux peines et un regret. La jeunesse est en général, encore plus généreuse qu'on le croit et elle épargne bien des chagrins aux ascendants, dont ceux-ci ne se doutent pas. Elle emmagasine bien des souffrances qui sont d'autant plus aiguës que la faculté de sentir est plus neuve.
Sylviane gardait donc en soi, avec soin, sa déception et elle ne cessait de penser à celui qui l'avait provoquée.
De son côté, Luc était très mortifié de l'issue de son complot qui se retournait contre lui avec cruauté.
Quand la jeune fille s'était presque enfuie, à la suite de cette scène ridicule, Madame Bullot s'était écriée, très marrie :
Eh ! bien mon pauvre ami nous avons commis une bien lourde erreur. Nous avons voulu si bien manœuvrer notre filet que la proie nous échappe
C'est un désastre ma tante balbutia le jeune homme tout agité.
Je t'avoue mon neveu que je ne savais pas autant de fierté à ma petite Sylviane C'est beau ce qu'elle a fait là ! Refuser un parti comme toi plusieurs fois millionnaire et bien tourné ! Que dis-tu de cela ?
C'est splendide mais je suis bien malheureux maintenant, j'aime cette belle Sylviane qui devient inaccessible pour moi
Nous voilà bien !
Est-elle ferme dans sa parole habituellement ?
Comment te renseigner ? jamais ce cas ne s'est présenté et je ne puis puiser dans les exemples
Je suis désespéré.
Mon Dieu comme tu as pris feu rapidement mon petit Alors que je te demandais si tu voulais épouser Sylviane tu me réponds que tu pars pour l'Écosse Le lendemain je reçois ta lettre avec le plan de la comédie à jouer
Ne m'en parlez plus ma tante je vous en conjure !
Et aujourd'hui te voilà flambant comme du bois sec Que les hommes sont donc singuliers !
Et les femmes ma tante !
En tant qu'hommes je voulais désigner l'humanité parce que ma petite Sylviane m'a bien étonnée aussi.
Croyez-vous qu'elle pourra m'aimer ?
Puis-je le deviner ? Elle a dit non et comme elle ne veut avoir qu'un visage elle ne doit pas penser oui
Ce serait beau ma tante de lui faire dire oui si elle pense non
Évidemment cela peut tenter un homme avide d'imprévu mais tu sais il y a l'orgueil et des êtres se feraient hacher en morceaux plutôt que d'abdiquer
Ma tante je partirai avec vous pour Vichy
Comment tu persistes ?
Je n'ai rien à faire Cela m'occupera de contempler cette jolie et cruelle Sylviane
Tu es audacieux. Tu devrais te cacher cette enfant a droit à un peu de calme.
Je l'aime
Quel air décidé
Je ne l'aurais pas tant aimée si elle m'avait pardonné tout de suite Mais son air fier m'a conquis C'est une femme sérieuse Pourquoi ne m'avez-vous jamais parlé d'elle ?
Pourquoi ? mais sais-je où tu es la plupart du temps ? M'écris-tu souvent ? Combien de fois t'ai-je vu depuis ton enfance ?
C'est vrai je suis inexcusable Je vais vous gâter dorénavant À Vichy je serai votre cavalier et je ne supporterai pas que vous flirtiez avec les vieux colonels
Ah ! on peut dire que tu es utilitaire toi ! tu n'as pas la fierté de Sylviane Tu te cramponnes à moi dans une intention non déguisée Je plains cette jeune fille qui te trouvera sur son chemin à chacun de ses pas