Marin, dernier du nom, n'avait plus personne de son sang ; sa soeur
Victoire, dont il soignait la tombe avec une a?ention tendre et infatigable,
était morte dix ans auparavant, d'une façon mystérieuse. Sans maladie
connue, elle avait dépéri, puis elle s'était éteinte ; personne n'avait su, ni
n'avait demandé pourquoi. Marin, très jeune alors, et plus développé de la
vie du corps que de celle du coeur, l'avait beaucoup pleurée ; orphelins, ils
étaient l'un pour l'autre tout ce que peuvent être deux enfants qui n'ont
qu'eux pour s'entraimer.
Il affectionnait entre tous les endroits du pays le cimetière, plein de
soleil et de mouches bourdonnantes ; le rosier qu'il avait planté lui semblait,
l'été, un ami, auquel il confiait ses idées, et il le soignait comme il
eût fait d'un enfant que l'on encourage ou que l'on redresse. Depuis bien
des années, Marin ne pleurait plus sa soeur, mais il l'aimait toujours, et,
près de sa tombe, il croyait parfois ne l'avoir point perdue.
Bien plus, il lui semblait souvent que si quelque chose lui arrivait jamais,
ce serait là, près de ce?e croix, parmi les roses blanches, qu'apparaîtrait
l'événement de sa vie.
Les roses fanées gisaient toutes dans l'herbe, avec les pousses gourmandes
que Marin venait d'émonder ; il avait refermé son couteau et
l'avait remis dans sa poche, et pourtant il restait pénétré d'on ne sait
quelle douceur secrète ; tout sentait bon autour de lui, l'air était chaud
et fortifiant, et là, au milieu des siens, endormis, il ne se sentait pas seul
La petite porte du cimetière grinça sur ses gonds, s'ouvrit et retomba ;
Marin leva les yeux, et resta immobile Était-ce sa destinée qui venait le
trouver près du rosier de Victoire ?