Extrait: EN CABINET PARTICULIER
Rencontre d'un Parisien et d'un Marseillais devant une affiche de théâtre. Des petits saints polygames. Marescou et son coquin de physique. Le restaurateur Durand et le poète Homère. Ça manque de femmes ! Amour et café Tortoni. Une maîtresse pour deux.
Le rideau venait de se baisser sur le deuxième acte de la Mascotte ; et, tandis que l'orchestre enlevait, avec le bruit assourdissant de ses instruments de cuivre, les dernières mesures du finale, la foule, comme affolée d'air et de mouvement après une heure d'immobilité dans la petite salle des Bouffes surchauffée par le gaz des lustres et des appliques, s'échelonnait impatiente et compacte dans les escaliers trop étroits.
Arrêtée au bas des marches par l'employé du théâtre, posté au seuil du vestibule, et vous remettant, de force, des contremarques dans la main, elle s'écoulait lentement au milieu des imprécations sourdes de messieurs agacés de ne pouvoir se frayer un passage à travers la cohue, et de femmes dont les traînes trop longues étaient piétinées par les maladroits ou les impatients.
Aussitôt échappés à la bagarre, les uns gagnaient la rue, à pas précipités, les autres se répandaient dans le passage Choiseul, s'amusant à regarder les photographies d'actrices exposées aux vitrines des papetiers, ou bien fredonnant, à l'oreille de la dame qui leur donnait le bras, les motifs qu'ils avaient retenus.
Deux jeunes gens, l'un, élancé, d'une mise élégante, avec l'œil un peu gouailleur du Parisien, et la barbe blonde en éventail, l'autre, de taille moyenne, trapu, les cheveux bruns, coupés ras, le teint haut en couleur, le corps un peu balourd malgré ses mines de matamore et ses moustaches en brosse, étaient plantés devant une des affiches de la porte, qu'ils lisaient côte à côte.
Tout à coup, presque simultanément, ils se trouvèrent face à face.
Marescou !
Té ! Cadillan !
Il y avait près d'un an que les deux amis ne s'étaient vus ; aussi quel échange de chaudes poignées de main !
Après s'être demandé mutuellement des nouvelles de leur santé, ils s'interrogèrent sur leur position sociale.
Tous deux, issus de familles riches, vivaient de leurs rentes, et, bien qu'approchant chacun de la trentaine, et maîtres de leur fortune depuis assez de temps pour avoir eu tout le loisir nécessaire de commettre les folies les plus extravagantes, ils furent heureux de se déclarer, en toute vérité, qu'ils n'avaient encore aucunement entamé leur capital.
De vrais petits saints alors ?
Mon Dieu, non ! Ils avaient adoré les femmes, tout comme d'autres, et le nombre de leurs maîtresses passées, et même présentes, en témoignait hautement. Les chevaux qu'ils montaient étaient de race, et leur intérieur fort confortablement meublé ; Marescou, un nemrod émérite, louait des chasses superbes qui ne rapportaient rien naturellement, et lui coûtaient fort cher.
Cadillan, lui, raffolait du bibelot et consacrait le plus clair de ses revenus à satisfaire son artistique passion, mais tous deux abhorraient le cercle et le baccara, la Bourse et l'agio, et s'ils ne faisaient pas d'économies, du moins ne s'exposaient-ils pas à se ruiner bêtement.
Un tintement de sonnette électrique annonça la fin de l'entr'acte.
Je te quitte, dit Cadillan, mais auparavant une question capitale : Es-tu marié ?
Non, pas encore, répondit Marescou avec son accent marseillais, et toi ?
Je suis toujours garçon, mais, à te parler franchement, amoureux comme un fou.
CHAPITRE I - EN CABINET PARTICULIER
CHAPITRE II - LES AMOUREUX DE MADAME MÉLINOT
CHAPITRE III - LA BROUILLE
CHAPITRE IV - QUERELLES DE FAMILLE
CHAPITRE V - MÉTAMORPHOSES
CHAPITRE VI - PRÉPARATIFS DE VOYAGE
CHAPITRE VII. LA FONCIÈRE.
CHAPITRE VIII - LES ADIEUX
CHAPITRE IX - A LA GARE DE LYON
CHAPITRE X - ENTRE PARIS ET LYON
CHAPITRE XI -