Il n'est au monde rien de plus émouvant que l'éclosion et le déroulement d'une petite vie, d'une vie comme celle de l'insecte dont j'entreprends ici l'histoire. Petite vie Je viens d'employer là une épithète qui ne me plaît en aucune façon; mais je n'éprouverai jamais comme au livre que je commence l'infirmité sans remède de n'importe quel langage humain, et je tiens à faire acte d'humilité dès le début de cet ouvrage. Sans cette confession, oserai-je en écrire seulement un mot? Que tout ce qu'il peut y avoir en moi de poésie et d'amour de la terre m'assiste! Que l'habitude contractée dès mon enfance d'aller volontiers le front penché et de m'intéresser presque amoureusement à des choses infimes ne m'abandonne pas en cet instant! Ceci est une histoire vraie, mais où je ne veux aucunement montrer des prétentions scientifiques; car il est par trop facile d'avoir l'air d'être vrai en citant des références, en mentionnant des listes d'ouvrages, des noms d'entomologistes et en employant des termes spéciaux à la portée de n'importe quel licencié ès sciences naturelles. Ma seule documentation, je la devrai à mes yeux que nulle myopie n'a encore affectés et à l'intérêt que je porte à mon héros depuis que je le connais, ce qui ne date pas d'hier. La façon dont se noua cette familiarité entre un apprenti-poète et un insecte chanteur, je ne la développerai que s'il me semble, plus loin, indispensable de le faire, à propos des mœurs et coutumes de Grillon; il serait également facile et assez vain de m'occuper de lui pour parler principalement de moi. «J'ai mon plan», comme dirait, en termes techniques, un conférencier ou un romancier; mais, au moment que je commence d'écrire, la prétention de suivre ce plan en toute rigueur, celle-ci non plus, je ne l'ai pas. Je désire sur toutes choses dire ce que j'ai vu et ce que je crois avoir compris, en tâchant de ne rien oublier.