Voisinage, conflits et violences dans le Queyras au milieu du XIXe siècle

L'ouvrage que voici rend compte d'une année d'immersion de son auteur dans les archives de la justice de paix du canton d'Aiguilles, entité administrative regroupant sept communes, qui recouvre le Queyras. Certes, nous n'en sommes plus à compter les délits et les « affaires » petites ou grandes, à les traduire en courbes et à les cartographier : ces premières approches ont tôt révélé leurs limites, puisque le résultat de ces investigations informait confusément autant sur la délinquance que sur l'évolution de la norme, de l'interdit et des sensibilités chères à Alain Corbin, et puisqu'elles posaient à la fois le problème de la perception des pratiques judiciaires et celui, par exemple, des taxinomies utilisées par les juges lorsqu'ils qualifiaient les causes à instruire. Nourries des travaux des autres disciplines des sciences humaines et sociales et de l'histoire des périodes médiévale et moderne, les études concernant les XIXe et XXe siècles veulent également rompre avec le spectaculaire ou le sensationnel, quand bien même les analyses du cas de Pierre Rivière ou de l'exemple de Ribennes demeurent passionnantes et heuristiquement fécondes. On l'aura compris, cet ouvrage se place dans le sillage des « passions villageoises » mises au jour par Frédéric Chauvaud et sur lesquelles travaillent dans la pluridisciplinarité une petite cohorte d'historiens, de sociologues, d'ethnologues et d'anthropologues.

L'ouvrage est riche de la plongée dans les archives judiciaires, passionnément et précisément lues. Laisser parler la source, voilà qui est de bonne méthode. La traquer, lui soutirer tout ce que le métier d'historien est capable de lui faire rendre. L'auteur ne s'arrête pas longuement sur les aspects statistiques : 1 357 actes ont cependant été dépouillés, couvrant une période de dix années au milieu du siècle, qui n'attestent ni la « paix des champs », ni un quelconque « paradis queyrassin ». Mais il n'est pas question non plus de conclure à un isolat peuplé de « sauvages » non acculturés à la société englobante : au siècle dernier le Queyras est une société ouverte dont les membres ne peuvent être assimilés aux cas méridionaux, exceptionnels, qui ont fait la fortune de la thèse d'Eugen Weber[5]. Société en conflit, certes, mais société où se maintiennent, se créent et sont réactivées de multiples solidarités emboîtées : les conflits sont structurants. Monde de l'interconnaissance, de l'honneur, de la réputation et de la visibilité sociale, le canton d'Aiguilles n'est-il pas simplement un canton parmi d'autres des campagnes françaises ? L'analyse dépasse les classifications et les taxinomies, décèle les « territoires du moi » territoires au demeurant de dimensions diverses, de l'individu au collectif, et nous sommes ici dans le registre de l'« identitaire » et découvre la « hantise de l'autre ».

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