Avant de commencer le récit de ma triomphante expédition, je crois devoir déclarer à l'univers qu'il ne trouvera ici ni hautes considérations politiques, ni théories sur les chemins de fer, ni plaintes à propos de contrefaçons, ni tirades dithyrambiques en l'honneur des millions au service de toute entreprise dans cet heureux pays de Belgique, véritable Eldorado industriel ; il n'y aura exactement dans ma relation que ce que j'aurai vu avec mes yeux, c'est-à-dire avec mon binocle ou avec ma lorgnette, car je craindrais que mes yeux ne me fissent des mensonges. Je n'emprunterai rien au guide du voyageur, ni aux livres de géographie ou d'histoire, et ceci est un mérite assez rare pour que l'on m'en sache gré.
Ce voyage est le premier que j'aie jamais fait, et j'en ai rapporté cette conviction, à savoir, que les auteurs de relations n'ont pas seulement mis le bout du pied dans les pays qu'ils décrivent, ou que, s'ils y ont été, ils avaient, comme l'abbé de Vertot, leur siége fait d'avance. Diverses lettres sur la Belgique que j'ai lues depuis mon retour m'ont singulièrement étonné pour la dépense d'imagination et de poésie qu'on y a fait. Assurément je n'y ai pas reconnu la contrée ni les hommes que je venais de quitter.
À présent, si le lecteur curieux veut savoir la raison pour laquelle j'ai été en Belgique plutôt qu'ailleurs, je la lui dirai volontiers, car je n'ai rien de caché pour un être aussi respectable qu'un lecteur. C'est une idée qui m'est venue au Musée, en me promenant dans la galerie de Rubens. La vue de ces belles femmes aux formes rebondies, ces beaux corps si pleins de santé, toutes ces montagnes de chair rose d'où tombent des torrents de chevelures dorées, m'avaient inspiré le désir de les confronter avec les types réels. De plus, l'héroïne de mon prochain roman devant être très-blonde, je faisais, comme on dit, d'une pierre deux coups. Voilà donc les motifs qui ont poussé un honnête et naïf Parisien à faire une courte infidélité à son cher ruisseau de la rue Saint-Honoré. Je n'allais pas, comme le père Enfantin, en Orient chercher la femme libre, j'allais au Nord chercher la femme blonde ; je n'ai pas beaucoup mieux réussi que le vénérable père Enfantin, ex-dieu, et maintenant ingénieur.