Voici bientôt deux ans que dans cette Revue même je cherchais à apprécier l'état réel des partis en Angleterre et la situation parlementaire de sir Robert Peel [1]. A cette époque, l'autorité de cet homme d'état semblait sérieusement menacée par l'agitation irlandaise d'une part, et de l'autre par les divisions qui se manifestaient au sein de son propre parti. De ses adversaires ; de ses rivaux, aucun n'osait encore lui disputer la première place ; mais son étoile pâlissait visiblement, et sa fortune paraissait sur son déclin. Sans méconnaître la gravité de certains symptômes, sans nier les difficultés qui attendaient le cabinet tory, j'essayai d'établir alors que sir Robert Peel était encore l'homme indispensable, et que sa chute n'avait rien de prochain.
Aujourd'hui l'Irlande n'est guère moins agitée qu'en 1843, et ce qui était insubordination dans le parti tory est devenu révolté ouverte. Néanmoins, assailli par tous les partis et par la presse presque entière, injurié, outragé par ceux qui l'ont porté au pouvoir aussi bien que par ceux qu'il en a renversés, suspect à l'aristocratie, qui le maintient en le maudissant, comme à la démocratie, qui l'attaque en se servant de lui, sir Robert Peel est d'un aveu commun dans une des plus grandes situations où ministre se soit jamais trouvé. Cette situation est-elle aussi honorable qu'élevée, aussi sûre que forte ? c'est ce que je me propose d'examiner. Il est impossible, en attendant, de nier que sir Robert Peel n'ait, pour le moment du moins, vaincu toutes les résistances et surmonté tous les obstacles ; il est impossible de nier que la rébellion de ses amis comme les attaques de ses adversaires n'aient servi à rendre son triomphe plus éclatant et plus complet.
[1] Voyez du Royaume-Uni et du Ministère Peel en 1843, n° du 15 décembre.