Pour ne pas voir un pli se former sur vos fronts,
pour dissiper la boudeuse expression de vos lèvres que le moindre refus
a?riste, nous franchissons miraculeusement les distances, nous donnons
notre sang, nous dépensons l'avenir. Aujourd'hui tu veux mon passé, le
voici. Seulement, sache-le bien, Natalie : en t'obéissant, j'ai dû fouler aux
pieds des répugnances inviolées. Mais pourquoi suspecter les soudaines
et longues rêveries qui me saisissent parfois en plein bonheur ? pourquoi
ta jolie colère de femme aimée, à propos d'un silence ? Ne pouvais-tu jouer
avec les contrastes de mon caractère sans en demander les causes ? Astu
dans le coeur des secrets qui, pour se faire absoudre, aient besoin des
miens ? Enfin, tu l'as deviné, Natalie, et peut-être vaut-il mieux que tu
saches tout : oui, ma vie est dominée par un fantôme, il se dessine vaguement
au moindre mot qui le provoque, il s'agite souvent de lui-même audessus
de moi. J'ai d'imposants souvenirs ensevelis au fond de mon âme
comme ces productions marines qui s'aperçoivent par les temps calmes,
et que les flots de la tempête je?ent par fragments sur la grève...