Des jours heureux approchaient pour la famille Portolu, de Nuoro. Elias, le fils cadet, qui purgeait une condamnation dans un pénitencier du continent, allait rentrer à la fin d'avril ; et ensuite Pietro, l'aîné des trois garçons, se marierait. On se disposait à fêter ce double événement. On avait rebadigeonné la maison, préparé le pain et le vin. II semblait qu'Elias regagnât le foyer comme un étudiant en vacances ; et ce n'était pas sans une sorte d'orgueil que ses parents, une fois terminée la disgrâce de leur fils, s'apprêtaient à le recevoir. Enfin arriva le jour attendu si impatiemment, surtout par Zia Annedda, la mère, une petite femme placide, blanche, un peu sourde, qui aimait Elias plus que tous ses autres enfants. Le frère aîné, Pietro, qui était laboureur, Mattia, le plus jeune frère, et Zio Berte, le père, qui étaient pâtres, revinrent de la campagne. Mattia et Pietro se ressemblaient beaucoup ; l'un et l'autre étaient bas de taille, robustes, barbus, avec une face cuivrée et de longs cheveux noirs. Zio Berte Portolu, le vieux renard, comme on l'appelait, était bas de taille, lui aussi, avec une fameuse chevelure noire très emmêlée qui retombait jusque sur ses yeux rouges et malades, et qui, près des oreilles, venait se confondre avec une longue barbe noire non moins emmêlée. Par-dessus des vêtements assez sales, il portait une espèce de houppelande sans manches, en peau de mouton noir, dont la laine était tournée en dedans ; et, parmi toute cette fourrure noire, on n'apercevait que deux énormes mains rouge bronze et, au milieu du visage, un gros nez pareillement rouge bronze...