Raconter la vie d'Érasme, c'est raconter les commencements de la Réforme et du grand mouvement littéraire et religieux du seizième siècle, auxquels il a été si intimement mêlé. Nous n'avons pas la prétention, on le comprendra facilement, de résumer en quelques lignes une époque si curieuse et si remplie, et qui mérite un travail étendu que nous présenterons peut-être quelque jour au public. C'est donc une simple notice que nous donnons aujourd'hui.
Il semble qu'Érasme songeait à lui-même, lorsqu'il a fait dire à sa Folie : « Je ne suis pas le fruit d'un ennuyeux devoir matrimonial, je suis née des baisers de l'amour. » En effet, son père Gérard, d'une riche famille bourgeoise de Terghout en Brabant, avait déjà un enfant de Marguerite, fille d'un médecin de Sevemberg, lorsqu'il fut obligé de fuir à Rome. Ses parents, qui le destinaient à l'état ecclésiastique, ne lui épargnaient aucune vexation pour lui faire rompre cette liaison et les projets de mariage qui en étaient la suite. Trompé par la fausse nouvelle de la mort de sa maîtresse, qu'il avait laissée sur le point d'être mère une seconde fois, Gérard se fit ordonner prêtre. Pendant ce temps, Marguerite accouchait d'un fils à Rotterdam, le 28 octobre 1467.
L'enfant reçut le nom de son père ; mais plus tard, suivant l'usage des savants de son temps, il associa au latin Desiderius le grec Érasme pour s'en former un nom littéraire qu'il devait faire briller d'un si vif éclat. À son retour, Gérard, au désespoir de s'être laissé prendre au piége grossier qu'on lui avait tendu, vécut près de Marguerite qui désormais ne pouvait plus être sa femme, et se consola en consacrant tous ses soins à l'éducation de ses enfants.
Érasme avait treize ans lorsque sa mère fut enlevée par la peste ; son père ne tarda pas à la suivre (1480). Déjà l'orphelin avait commencé ses études à l'école de Deventher d'une manière qui pouvait faire présager ses succès futurs, lorsque, malgré ses répugnances natives, il fut forcé par les malversations de son tuteur d'embrasser l'état monastique. Il entra donc comme novice dans le couvent des chanoines réguliers de Stein, au diocèse d'Utrecht. L'indépendance de son caractère et la complexion de son esprit où la raison dominait l'imagination, ne purent se plier aux pratiques du cloître. « Le lieu, le régime, le costume, les cérémonies, tout cela n'est pas de la religion, écrivait-il un peu plus tard ; combien est plus belle à mes yeux cette pensée chrétienne que l'univers n'est qu'un vaste monastère et que tous les hommes en sont frères. »