À peine terminé le lent, l'effroyable martyre de Charles Baudelaire, pieusement Théodore de Banville et Charles Asselineau entreprenaient de recueillir dans une « édition définitive » les œuvres de leur ami. Tous deux chérissaient tendrement l'homme et admiraient sincèrement le poète : les discours prononcés sur la tombe du cimetière Montparnasse, leurs biographies enthousiastes le prouvent d'abondance. Donc ils firent de leur mieux. Mais les circonstances adverses, le stupide jugement de 1857, dont la tardive révolte de l'opinion n'avait pas encore effacé la flétrissure ; la nécessité où ils se crurent, pour réussir plus sûrement dans leur œuvre de réhabilitation, d'agir avec prudence et sans heurter de front la morale bourgeoise ; peut-être aussi certaine timidité où le cœur eut plus de part que l'esprit, et par laquelle leurs scrupules se flattèrent de mieux honorer un auteur si sévère à lui-même, si épris de perfection, les amenèrent à écarter de leur recueil les six pièces condamnées des Fleurs du Mal, comme tout manuscrit inachevé, les Journaux intimes avaient bien été écrits, cependant, pour être publiés ! comme maintes pages dont la rédaction ne les satisfaisait pas entièrement. Si bien que « l'édition définitive », même à n'en contrôler les matières qu'avec la bibliographie La Fizelière et Decaux, parue dès 1868, s'avère fort incomplète.