Nous avons affaire ici à une biographie des plus classiques, mais à un personnage des moins communs. Comment, née dans la lignée d'un grand d'Espagne on devient pauvre par négligence de l'état civil ; comment, mariée à dix-sept ans, on finit au bout de quatre ans, la tête romanesque, par quitter son Prudhomme de mari pour découvrir l'Angleterre ; comment, avec de la passion et des yeux ingénus, on écrit dans les Promenades dans Londres des pages qui annoncent le docteur Engels ; comment, décidée à réclamer les fruits de l'héritage paternel, on s'embarque dans le Pérou ; comment on revient de ce pays inconnu sans héritage avec un manuscrit d'ethnologie passionnant, publié bientôt sous le titre Pérégrinations d'une paria ; comment, retrouvant son mari importun, on reçoit de sa main une balle à deux doigts du cœur ; comment, remise d'aplomb, on devient du même coup (de pistolet) un auteur célèbre ; comment, loin se reposer sur ses lauriers, on trouve sa vocation : se mettre au service de la classe ouvrière, et en particulier des femmes prolétaires qui atteignent le fond de l'exploitation ; comment traitée d'"apôtre en jupon", on laisse les brocards et l'on s'adonne à sa mission ; comment, romantique, évangélique, sentimentale, on avait tout pour devenir une sœur de Saint-Vincent-de-Paul (Ozanam, fondateur des conférences est de l'époque), on imagine avant Marx l'internationalisme prolétarien en fondant l'Union ouvrière ; comment, à bout de force on fait le tour de France pour apporter aux pauvres la bonne parole ; comment, à Bordeaux, on meurt en route, quatre ans avant le Manifeste communiste... C'est, parmi bien d'autres "pérégrinations", les grandes lignes de l'histoire de cette "Paria" une vie qui ne serait qu'un fol roman d'aventures (et ce ne serait déjà pas si mal) si elle n'avait été offerte à la cause des opprimés.